Quelles perspectives de développement pour les aéroports dans un contexte de contraction du marché ?
L’association des aéroports européens estime que près de 200 aéroports sont au bord de la faillite. Avec un trafic inférieur de 86% à celui de 2019 en novembre dernier les quelques 500 aéroports membres de l’ACI Europe ont franchi au mois de mars dernier le cap du milliard et demi de passagers perdus depuis le début de l’année.
La crise place les aéroports devant de vraies difficultés d’ordre économique et financier. Plus largement, ce sont l’ensemble des acteurs de la filière aéroportuaire qui sont impactés par la situation actuelle. Toutefois, des signaux encourageants demeurent, et évitent l’asphyxie totale de ce volet essentiel de l’économie.
L’avenir « prévisible-imprévisible »
La première conséquence notable de la crise sanitaire a été l’effondrement immédiat du nombre de passagers. Les restrictions aux frontières nationales ont été à l’origine de la réduction drastique du nombre de vols internationaux et donc du flux de voyageurs. En réponse à cela, les compagnies aériennes ont déployé des « plans de vol », afin d’éviter un effondrement pur et simple du long-courrier. Des avions moins remplis ont continué de voler. Cela a permis à des compagnies comme Air France d’assurer leur capacité à un niveau compris entre 50% et 80% de leur capacité d’avant crise. Certaines compagnies low cost ont même réussi à maintenir près 95% de leur capacité du passé grâce à un déploiement agile sur un grand nombre de destinations.
Par ailleurs, c’est toute la structure de revenus liés au commerce dans les aéroports qui a été durement impactée. Quand un opérateur aéroportuaire fait un appel d’offres dans un terminal, il demande des garanties à l’opérateur commercial, qui reposent entre autres sur le chiffre d’affaire nette des magasins et des boutiques. Or, avec la chute du nombre de vols et donc de voyageurs, ces opérateurs commerciaux se sont retrouvés privés de sources de revenus. Ce sont les aéroports, peut-être encore plus que les compagnies aériennes, qui payent le plus lourd tribut de la crise. Pour les petits et moyens terminaux, la situation est alarmante, car il est difficile pour une telle infrastructure de subsister avec seulement quelques vols par jour, questionnant ainsi le modèle aéroportuaire dans son ensemble.
La question de l’évolution intrinsèque du modèle aéroportuaire
Malgré la crise multidimensionnelle, on constate des signaux encourageants pour le secteur, qui se porte mieux que les compagnies aériennes et l’aéronautique. Le marché du fret notamment, en hausse de 4,4% par rapport à l’avant crise, en raison de la croissance des échanges mondiaux (masques, vaccins, etc.).
En outre, la rencontre et le voyage d’affaire ont laissé place depuis le mois de mars 2020 à la généralisation de la visioconférence. Mais les contraintes d’un tel format se font ressentir : manque de confidentialité, difficulté à tisser une relation de confiance, etc. On ne construit pas le lien qui cimente une équipe et une relation de long terme virtuellement, sans se rencontrer et échanger sur un format que l’on dénomme désormais communément le « présentiel ». Ainsi, et contrairement aux idées reçues, le passager business va revenir sur le devant de la scène.
La différence majeure avec les crises antérieures, notamment celle de 2007-2008, réside dans le fait que l’économie actuelle se porte globalement bien. Le CAC 40 est dans le vert et de nombreuses entreprises non-exposées aux conséquences directes du virus sont en mode « conquête ». En outre, la sortie de crise va voir apparaitre un effet de rattrapage intense, fondé sur une épargne accumulée par les ménages et un sentiment de délivrance, jusqu’alors sévèrement contenu. Cela doit se manifester concrètement par un pouvoir d’achat élevé du voyageur moyen.
Le modèle principal dont la pertinence doit être questionnée est celui du hub. Apparu au début des années 1990, c’est un concept bancal pour l’investisseur aéroportuaire car sous-optimal. Et la période actuelle exige de mettre l’accent sur la croissance pure. Pour cela, le secteur aéroportuaire aura besoin de faire évoluer la myriade d’acteurs présents dans les aéroports, au premier rang desquels figurent les commerces. Les gestionnaires d’aéroports vont devoir diversifier leurs compétences en termes de retail, qui doit devenir un enjeu de développement des terminaux. Les Aéroports de Paris ont par exemple été construits pour que le passager arrive à son avion le plus vite possible, privilégiant l’efficience à une logique purement commerciale.
L’enjeu des hubs est étroitement lié à celui de la transition écologique, non négligeable pour le secteur aéroportuaire aujourd’hui, bien qu’elle n’impactera qu’à peine les flux de transit dans le temps long. Autrement dit, le train de nuit ne remplacera jamais l’aérien. En revanche, il faut trouver le juste milieu pour un développement lucide, réaliste et équilibré des aéroports et des flux.
Avec quels acteurs et quels investisseurs ?
Le savoir-faire français en matière aéroportuaire est amplement reconnu à l’étranger, notamment grâce aux Aéroports de Paris et à Vinci aéroports (1er acteur aéroportuaire privé mondial). Malgré la situation actuelle, les grands investisseurs tels que Bouygues, Eiffage et Vinci continueront à investir dans le secteur, notamment sur les projets de grands aéroports régionaux, qui ont vocation à se développer, bien que très affectés par la crise. Il convient dans cette logique d’encourager les investissements et de rétribuer la prise de risque.
Pour l’heure, les aides d’État aux aéroports restent modestes : de l’ordre de 930 millions d’euros au total pour les 500 aéroports de l’ACI Europe, contre près de 32 milliards pour les compagnies aériennes.